L’âge des responsabilités Posté janvier 6, 2021

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Dire que nous vivons des temps compliqués est un doux euphémisme. La période que nous traversons, remplie de chaos et d’incertitudes, nous met devant de nombreux défis. En devant faire face à ce grand inconnu, des émotions comme la peur, la colère et le désespoir peuvent facilement nous submerger. Aujourd’hui, j’aimerais partager avec vous une perspective qui m’a été délivrée durant mon travail chamanique au Pérou avec les plantes visionnaires, telles que l’Ayahuasca, le cactus San Pedro, et d’autres puissantes médecines traditionnelles. Cela fait maintenant plus de dix ans que je travaille avec ces médecines, et elles m’ont très souvent guidé sur mon chemin avec bienveillance et beaucoup de sagesse. Bien entendu, le but n’est pas de présenter ici une vérité absolue, de créer des polémiques, ou de donner des leçons, car je sais que le sujet est sensible. Mais simplement de partager une expérience, une approche des choses qui m’a personnellement aidé à mieux accepter les événements que nous traversons, et à y occuper un rôle plus actif et positif. A chacun ensuite de voir si ce message résonne ou pas.

J’ai toujours été quelqu’un d’empathique, très sensible à mon environnement. Et je dois admettre que la direction que semble prendre notre monde m’a souvent causé quelques tourments. La maltraitance animale, la déforestation massive, le terrorisme, la violence grandissante dans les médias et sur les réseaux sociaux… Désemparé par ce constat, il m’est parfois arrivé de désespérer, et de me dire que nous courrions simplement à notre perte.

Il faut dire que des expériences avec les plantes maîtresses comme l’Ayahuasca peuvent exacerber ce sentiment d’urgence, en nous faisant prendre conscience de l’ampleur des dégâts que nous avons causés. Il est fréquent de voir des témoignages de gens ayant travaillé avec cette médecine, et qui ont reçu des messages concernant l’écologie, le besoin de protéger notre Terre Mère, et d’avoir une démarche plus respectueuse vis-à-vis du monde dont nous dépendons. L’Amazonie est une zone particulièrement propice à cette exploration, vu tous les outrages qu’elle subit, et qui ne semblent qu’empirer d’année en année – que ce soit vis-à-vis de la faune, de la flore, et des peuples indigènes.

Il y a quelques années, cette thématique s’est intensifiée dans mon travail avec les plantes, sans que je le recherche volontairement. Je dirais même que je n’avais pas forcément envie de regarder tout cela en face. Je pensais que mon travail spirituel devait toujours aller vers le positif, et que me focaliser sur « ce qui ne va pas » n’amènerait rien de bon. J’avais une vision finalement très simpliste de « l’Illumination », qui pour moi représentait une forme de béatitude parfaite où aucune forme de négativité ne pouvait exister. Je comprendrais plus tard que l’Illumination, si elle existe, vise plutôt à devenir hyper-conscient, à la fois du positif et du négatif, pour justement pouvoir faire des choix responsables et éclairés – sans faire l’autruche vis-à-vis de sujets qui nous mettent mal à l’aise.

Ainsi, mes expériences avec les plantes m’ont souvent amené à aller au contact de tout ce que j’avais à soigner, avec une honnêteté brute qui nécessitait de regarder les choses en face, même si elles n’étaient pas belles à voir. On m’invitait aussi souvent à aller apporter mon aide là où se trouvent les plus grandes souffrances, simplement parce que c’est là qu’elle serait la plus utile. Je me souviens notamment d’une cérémonie où le thème de l’écologie s’est présenté à moi. J’avais des visions intenses, parfois pénibles, qui s’enchaînaient à un rythme effréné. On me montrait le massacre systématique et industrialisé de tant d’animaux sur cette planète, la destruction organisée à grande échelle des écosystèmes, la recherche démente de profit à tout prix, quitte à détruire, tel un cancer, l’hôte dont dépend notre survie. J’étais désemparé. Je posais alors la question : « Mais comment peut-on sauver la Terre ? » La réponse que je reçus fut directe, presque agacée : « Mais la Terre n’a pas besoin d’être sauvée ! Elle pourrait facilement se débarrasser de vous, si elle le voulait. Vous pensez, dans votre arrogance, que vous la contrôlez, mais elle pourrait vous rayer de sa surface comme de vulgaires insectes. Mais elle ne le fait pas, parce qu’elle est votre Mère, et qu’elle vous aime inconditionnellement. Les seuls qui doivent être sauvés, c’est vous ! »

Je me rendais compte à quel point, en tant qu’être humain, j’étais moi-même tombé dans ce cliché du sauveur, sans réaliser que je faisais avant tout partie du problème. Paradoxalement, c’est en voulant sauver la Terre que je me déresponsabilisais de mon rôle dans cette destruction. Il était alors facile de blâmer tel ou tel coupable, de signer des pétitions, de m’indigner sur les réseaux sociaux. Mais étais-je vraiment prêt à changer mon mode de vie occidental ? Ou allais-je juste me contenter de chercher quelqu’un de pire que moi pour lui demander de changer à ma place ? Je réalisais que les plantes ne parlaient pas ici que de mes habitudes de consommation, par exemple, même si elles sont importantes. Elles me parlaient de qui j’étais profondément en tant qu’être humain, ma mentalité, mes valeurs, mes priorités, ma capacité à me soucier d’autrui, mon sens des responsabilités, mon ouverture du cœur… et bien sûr mon rapport à moi-même.

Au final, nous faisons toujours l’expérience de notre propre ombre, que nous projetons ainsi sur le monde. Pour faire changer cette ombre, il nous faut d’abord changer nous-mêmes. Ce que me disait ce message, c’est que la seule réponse était de revenir à nous, de comprendre et de soigner nos blessures, ainsi que notre folie qui était à l’origine de ce désastre. Tant que nous ne changerions pas profondément en tant qu’individus, essayer de rattraper les conséquences de cette folie ne nous mènerait nulle part. Comme si on demandait à un aliéné d’améliorer le fonctionnement de l’asile dans lequel il est enfermé : c’est totalement impossible tant qu’il n’a pas d’abord guéri.

Même si j’avais parfaitement compris ce message, qui m’avait été délivré avec force, il me laissait un peu perplexe face à l’ampleur de la tâche. D’abord, il m’invitait plus à l’introspection qu’à l’activisme, et je comprenais que le travail que je devais faire était avant tout intérieur. Et que si tous les êtres humains faisaient de même, le monde changerait alors fondamentalement. Nous devions maintenant en prendre conscience, et prendre nos responsabilités. Lorsque suffisamment de gens auraient radicalement changé de mentalité et de priorités, cela aurait un effet de masse qui impacterait tous les niveaux, y compris politiques et industriels. Nous avons tendance à penser que ce sont ces domaines qui doivent changer en premier pour que nos sociétés évoluent, mais c’est l’inverse : toutes les révolutions, même pacifiques, viennent d’abord du peuple.

Suite à cette première expérience, mon travail chamanique a régulièrement tourné autour de ce thème, et ce durant plusieurs années. Il m’arrivait de passer des heures à recevoir des enseignements sur le processus de l’évolution de l’humanité. A tel point que j’abordais parfois avec appréhension mes cérémonies, craignant de devoir passer encore une nuit à recevoir un cours de sociologie ou de sciences politiques – domaines certes intéressants, mais qui peuvent devenir fatigants lorsqu’ils sont ainsi répétés avec autant d’insistance. Pourtant cela devait être important, car les plantes continuaient de me délivrer un message, en m’aidant à comprendre ce que nous étions en train de traverser.

Si je devais donner forme à ce message, et en exprimer l’essence, voilà ce qu’il serait :

« Vous, humains, avez longtemps vécu comme des enfants. Vous avez parcouru la surface de votre Terre Mère, et profité de ses bienfaits dans une forme d’insouciance. Vous vous êtes nourris et servis de toutes ses ressources, en considérant qu’elles vous appartenaient et qu’elles étaient illimitées. Vous avez nommé parmi vous des responsables religieux et politiques, vos « parents », à qui vous avez donné votre pouvoir et la charge de décider de ce qui était bien ou mal.

Mais plus récemment, vous avez entamé une nouvelle étape de votre évolution, celle de l’adolescence. Ces dernières années, vous avez commencé à remettre profondément en cause les institutions, et l’autorité de ceux qui régissaient jusqu’à présent vos vies avec votre consentement. Vous avez commencé à comprendre que quelque chose n’allait pas dans les choix qui avaient été faits, et que les vieux modèles étaient une impasse. Vous avez aussi reconnu que la corruption et la manipulation avaient gangrené tous les niveaux de cette organisation. Vous avez ressenti de la colère et du rejet, et de nombreuses sociétés dans le monde ont commencé à se rebeller.

Vous entamez désormais un processus d’émancipation, qui comme dans la vie de chacun d’entre vous, ne consiste pas juste à blâmer vos parents pour vos malheurs. Mais qui au contraire représente l’opportunité de comprendre les conséquences de vos actes, de reprendre votre autonomie de décision et de réflexion, et surtout, de faire preuve de discernement.

Vous êtes en train de grandir, et en reprenant votre place dans le monde, vous prenez également conscience de votre impact sur ce dernier. Au lieu de critiquer vos « parents » pour leurs mauvais choix, vous commencez à comprendre que vous devez devenir des acteurs actifs des changements à venir. C’est ce sentiment de responsabilité qui va également vous permettre de vous réapproprier votre pouvoir personnel.

Il va toutefois y avoir une grande résistance face à ce changement : beaucoup d’entre vous auront peur de ce pouvoir, et voudront le remettre à nouveau entre les mains de responsables, d’ « hommes forts », qui décideront à leur place. Vous observerez une montée des populismes qui essaieront de profiter de cette peur. Mais cette évolution est inéluctable, et en surmontant ces défis, vous finirez tous par grandir. La maturité, puis la sagesse, seront vos plus belles récompenses.

Alors n’ayez pas peur de grandir, de trouver votre place, de découvrir et d’exprimer votre vérité. Nous vous aiderons à développer votre conscience, à devenir plus lucides, à ouvrir votre cœur, mais nous ne ferons pas les choix à votre place, car vous aurez besoin de comprendre leurs conséquences par vous-mêmes. Tout sera mis sur la table, plus rien ne sera caché. Il sera donc important que dans ce chaos d’informations, vous fassiez preuve de beaucoup de discernement. Cherchez toujours plus loin que les apparences, ne prenez rien pour acquis, ne cédez pas à la rumeur, pesez le pour et le contre, et devenez tous les adultes que vous êtes destinés à être. Vous êtes les créateurs de votre réalité, alors choisissez avec soin les énergies que vous voulez cultiver. »

Cette analogie de l’adolescence et du passage à l’âge adulte m’a beaucoup parlé, en me reconnectant à ma propre histoire. Je me suis souvent rappelé les défis auxquels j’ai été confronté en quittant le foyer familial, devant trouver ma propre place dans ce monde, et tout ce que cela impliquait dans mon évolution personnelle.

Ce message puissant m’a été délivré maintes fois. Et à l’époque, il n’avait pas la résonance qu’il a pris aujourd’hui, où des épreuves comme la Covid-19 semblent plus que jamais nous mettre face à nos choix individuels et nos responsabilités pour le bien de tous. Ce qui pourrait ne sembler que chaos me paraît aujourd’hui être ce processus de maturation que les plantes me montrent depuis des années. Et les dissonances criantes dans nos sociétés, autant d’opportunités de comprendre les conséquences de nos actes, et de faire des choix en conscience.

Face à tous ces défis, ce n’est plus une question de savoir ce que nous avons le droit de faire ou pas. Mais plutôt de comprendre qu’en reprenant notre pouvoir, nous devons aussi décider de la meilleure façon de l’utiliser. En changeant nous-mêmes, nous pouvons radicalement changer les sociétés dans lesquelles nous vivons, recréer une forme d’unité, et restaurer ce monde que nous avons tant abîmé. Cela ne veut pas forcément dire révolutionner tous les aspects de notre quotidien du jour au lendemain. Mais il a été maintes fois démontré que même de petits ajustements dans notre mode de vie, appliqués à un niveau global, auraient d’énormes conséquences.

Pour conclure, cela me rappelle la légende amérindienne du Colibri, telle que racontée par Pierre Rabhi :

Un jour, dit la légende, il y eut un immense incendie de forêt. Tous les animaux terrifiés, atterrés, observaient impuissants le désastre. Seul le petit colibri s’activait, allant chercher quelques gouttes d’eau avec son bec pour les jeter sur le feu. Après un moment, le tatou, agacé par cette agitation dérisoire, lui dit : « Colibri ! Tu n’es pas fou ? Ce n’est pas avec ces quelques gouttes que tu vas éteindre le feu ! « 

Et le colibri lui répondit : « Je le sais. Mais je fais ma part. »